Les villes sont aux avant-postes dès lors que l’on évoque les changements climatiques. En comparaison avec des territoires moins bâtis, les espaces urbains subissent en effet plus fortement les effets des bouleversements observés au cours des dernières décennies.
Et quand on sait que les températures au cœur d’une ville peuvent facilement atteindre 10 degrés de plus que dans les zones vertes environnantes (1), l’ampleur des enjeux s’esquisse rapidement.
La solution sous nos pieds
L’adaptation des espaces urbains à la nouvelle donne climatique est dès lors cruciale. S’il n’existe pas une solution unique, il est tout de même très clair qu’une partie de la réponse se trouve sous notre nez, ou plutôt sous nos pieds.
Que ce soit dans la lutte contre les îlots de chaleur ou la prévention des inondations par ruissellement, les sols sont incontestablement nos alliés: sans les sols, impossible de profiter de la climatisation naturelle offerte par la végétalisation d’un espace. Impossible non plus d’infiltrer l’eau pluviale et de la reconnecter à son cycle naturel.
Sans les sols, surtout, impossible de profiter des bienfaits des arbres au cœur des quartiers. Car ce sont les arbres qui, grâce à leur canopée rafraîchissante et à leur système racinaire drainant, permettent aux sols d’exprimer leur plein potentiel écosystémique. En d’autres termes : sans le dessous, pas de dessus.
Programmes officiels
L’importance des sols en ville est désormais largement acquise et fait l’objet de nombreux plans d’action à travers le monde. Mais certains pays, particulièrement exposés aux risques environnementaux, ont pris de l’avance, à l’image de la Chine.
Prenez par exemple le concept de la ville éponge, développé dès le début des années 2000 par l’architecte chinois Yu Kongjian, qui vise à rendre les villes plus résilientes face aux risques d’inondation en favorisant notamment la végétalisation et l’infiltration des eaux pluviales dans les sols.
La Chine en a fait l’un des axes forts de sa politique de développement urbain et a pu l’appliquer à l’immensité de son territoire. Au cours des 10 dernières années, des réalisations ont ainsi vu le jour dans des dizaines d’agglomérations abritant des centaines de millions d’habitants (2).
Besoins vs. quantité
En Europe, même si l’échelle est différente, de nombreuses collectivités publiques se sont aussi lancées dans des stratégies si ce n’est de ville-éponge, du moins de végétalisation.
Rien ne sert toutefois de se lancer bille en tête sans s’être posé une question pourtant fondamentale : est-ce que cet arbre sera planté au bon endroit ?
Car en matière d’arborisation, il est frappant de constater que ce sont souvent les chiffres qui semblent diriger l’action : des objectifs ambitieux sont souvent affichés en termes de pourcentages de canopée devant être atteints ou de nombre d’arbres devant être plantés.
Or, un programme de verdissement devrait avant tout se baser sur les besoins (3) : dans quel quartier est-il le plus urgent de réduire les îlots de chaleur ? Quel secteur est le plus fortement exposé au risque de ruissellement ? Où serait-il bénéfique de renforcer ou de créer un corridor biologique ?
Coup d’œil dans le rétroviseur
Une fois cette première analyse menée, il est aussi nécessaire de s’intéresser au potentiel de végétalisation des zones identifiées comme prioritaires. Sachant qu’un arbre planté en ville sur trois ne survit pas et que le coût moyen de la plantation d’un arbre en milieu urbain s’élève, en Suisse en tout cas, à quelque 3000 euros, autant s’assurer que l’opération n’est pas condamnée d’avance. Et cela commence par l’évaluation des potentielles atteintes subies par les sols au cours des précédentes décennies.
Or, de nombreux outils existent pour investiguer le passé d’une parcelle : archives communales, données cadastrales, etc. Ces données constituent des informations capitales permettant d’orienter le travail des responsables territoriaux.
Quant à une analyse des sols, elle s’avère souvent inévitable afin de s’assurer, par exemple, qu’un désert pédologique ne se cache pas sous la surface pourtant prometteuse d’un espace vert.
Eau de pluie et matériaux terreux
Il est également possible de donner des coups de main aux sols et aux arbres quand l’environnement ne se prête à priori pas à une action de végétalisation, comme c’est le cas dans la majorité des rues de nos villes, déjà complètement minéralisées. C’est ainsi que le concept de l’arbre de pluie s’est développé au cours des dernières années, porté notamment par des acteurs de poids à l’image de la Métropole de Lyon (4).
Moins lourd à concrétiser qu’une fosse de Stockholm, le principe se matérialise via une fosse de plantation dont les dimensions et l’inclinaison en bordure de route vont permettre de capter les eaux de ruissellement, favoriser le développement de l’arbre – et donc de ses services écosystémiques – et accroître la biodiversité, y compris du sol.
Il arrive aussi que les sols ne soient pas suffisamment fertiles pour assurer la survie des arbres. Il est alors possible de remédier à cet écueil en intégrant de la terre végétale dans les espaces de plantation. Tout comme il est imaginable de recourir à des technosols, ces substrats issus du recyclage et de la transformation de matériaux terreux inertes. En plus de ne pas consommer de terre végétale, laquelle devient une denrée rare, cette option ouvre des perspectives réjouissantes en matière de régénération des sols urbains et de promotion de la biodiversité en ville.
Essences disparues
Reste encore à trancher l’épineuse question des essences à favoriser pour la végétalisation des centres urbains dans le contexte du changement climatique.
Une équipe de chercheurs a montré, dans une étude passant en revue plus de 3000 espèces d’arbres et d’arbustes présentes dans 164 villes de 78 pays différents, que les deux tiers de ces espèces pourraient être en situation de risque à l’échéance 2050 (5). Pas facile dès lors d’être certain faire le bon choix au moment de la plantation.
Si cette question fait encore l’objet de nombreuses recherches, il est en tout cas intéressant de noter qu’une partie de la réponse pourrait se trouver parmi les essences qui peuplaient l’Europe il y a environ cinq millions d’années, avant les dernières périodes de glaciation.
C’est en tout cas la piste suivie par le Muséum d’histoire naturelle de Paris (6), qui relève que ces espèces pourraient « retrouver dans nos villes les mêmes conditions climatiques que celles dont elles bénéficiaient à cette époque dans les milieux naturels », à l’image du noyer du Caucase ou de la parrotie de Perse.
De l’arbre à la bouche
La place au sein des villes est une ressource précieuse et de nombreux usages se la disputent. Les politiques d’arborisation, si elles empiètent sur d’autres utilisations de l’espace, peuvent faire face à des problèmes d’acceptation. Il peut donc être utile de construire une diplomatie du végétal et de rappeler à quel point les arbres, et les sols sur lesquels ils poussent, constituent un élément incontournable des villes du XXIe siècle.
La Ville de Lausanne, en Suisse, fournit une belle illustration de cette nouvelle forme de diplomatie. Elle met en effet à disposition une carte de la ville sur laquelle sont répertoriés tous les arbres fruitiers situés sur le domaine public et sur lesquels il est possible de cueillir librement les fruits (7).
Croquer à belles dents dans une pomme cueillie lors d’une balade en ville ou étaler sur une tranche de pain une appétissante cuillerée de confiture de fruits récoltés dans un jardin public : à ce jour, cela reste certainement la meilleure façon de convaincre qui que ce soit qu’un arbre pousse au bon endroit et mérite sa place en ville.
(1) durabilitas – Qualité des sols – Pourquoi est-ce si important
(2) La Fabrique de la Cité – Retour sur le programme des villes éponges chinoises
(3) De l’arbre en ville à la forêt urbaine, Sous la direction de Bastien Castagneyrol, Serge Muller et Alain Paquette Presses de l’Université du Québec, Editions Quaé,
(4) Observatoire de la Biodiversité en Auvergne-Rhône-Alpes – Livret technique – Les arbres de pluie
(5) Nature – « Climate change increases global risk to urban forests »
(6) Muséum national d’Histoire naturelle de Paris – Quelles espèces d’arbres planter en ville
(7) Ville de Lausanne – Les vergers à glaner
