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Une nouvelle grammaire des sols pour une meilleure gestion de l’eau en ville

Les populations du sud-est de l’Espagne doivent-elles faire face à une nouvelle réalité en matière de dangers naturels ? À la suite des inondations catastrophiques d’octobre 2024, lesquelles ont coûté la vie à 235 personnes dans l’agglomération de Valence, la région a encore subi cet automne, à quelques jours d’intervalle, deux épisodes d’inondations destructrices. Une nouvelle fois provoqués par de violentes précipitations, ces événements ont ravivé les craintes des habitants durablement marqués par la catastrophe de 2024.

Des précipitations plus intenses et plus fréquentes

Et la probabilité est élevée pour que ces événements météorologiques se multiplient à l’avenir, que ce soit en Espagne ou ailleurs en Europe. Prenons l’exemple de la Suisse. L’Office fédéral de la météorologie et de climatologie, Météo Suisse, a publié il y a un petit peu plus d’une année les résultats d’une étude sur la fréquence des fortes précipitations dans le pays. Les résultats mettent en évidence une augmentation de 11% de l’intensité des précipitations journalières depuis 1901. Ils révèlent également que ces fortes précipitations sur une journée sont 25% plus fréquentes qu’au début du 20e siècle (1).

Ces résultats font bien évidemment écho aux conclusions des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui mettent en garde contre une augmentation des événements météorologiques extrêmes dans les prochaines décennies. En France, cette augmentation des pluies maximales quotidiennes est ainsi estimée entre 15% et 30% d’ici 2100 (2).

Urbanisation, imperméabilisation et ruissellement

Mais si des pluies diluviennes sont à l’origine de la catastrophe de Valence, d’autres facteurs ont été identifiés pour expliquer son ampleur. En 2014, un géographe espagnol a conclu que la métropole a perdu deux tiers de ses vergers entre 1956 et 2011. Ce sont près de 9’000 ha de terrains agricoles, surplombant la ville, qui ont été transformés en quartiers d’habitation au cours des dernières décennies (3).

Cette importante urbanisation a eu pour corollaire une artificialisation de sols qui, autrefois, présentait un très haut potentiel d’infiltration et de rétention des eaux pluviales. Ces surfaces, désormais imperméables, ont ainsi canalisé les précipitations historiques des 29 et 30 octobre 2024 qui se sont abattues sur la ville, offrant une illustration glaçante des dangers des inondations par ruissellement.

En Suisse, il est désormais établi que la moitié des dommages causés par les crues sont dus au ruissellement et que deux tiers des bâtiments sont concernés par ce danger (4). En France on estime à 1,2 million le nombre de bâtiments résidentiels exposés au risque d’inondation par ruissellement (5).

Sous le bitume, le sol

Mais ces inondations ne sont en aucun cas une fatalité. Un large éventail de mesures permet de s’en prémunir ou, du moins, d’en diminuer l’intensité. C’est là que les sols, qui avaient disparu sous une épaisse couche de bitume, refont surface, au propre comme au figuré.

De nombreuses collectivités font preuve d’inventivité, car contraintes de trouver des solutions pour gérer les eaux pluviales adaptées à leurs réalités. Berlin en est une illustration. Après de graves inondations survenues en 2017, la capitale allemande ambitionne désormais d’appliquer le principe de la ville éponge, théorisé à la fin du XXe siècle. Dans le cas de Berlin, les autorités se sont fixé comme objectif de transformer d’ici 2030 30% de la surface urbaine en espaces perméables pour absorber et réutiliser l’eau de pluie afin de limiter les risques d’inondation.

Le sol comme éponge

Si une ville peut espérer absorber l’eau à l’image d’une éponge, c’est grâce aux sols et à leur incroyable capacité d’infiltration et de rétention. Rappelons-nous qu’un hectare de sol naturel peut absorber quelque 1500 litres de pluie par heure. Souvenons-nous aussi que plus un sol est riche en matière organique et végétalisé, plus il retiendra et infiltrera l’eau, ralentissant ainsi son ruissellement en aval. Prairies, buissons, arbres, massifs floraux, etc. : c’est en accueillant une palette de végétation aussi diversifiée que possible que les sols urbains pourront déployer toute l’étendue des services écosystémiques qu’ils assurent.

Reconnecter l’eau et les sols

Quant aux eaux de pluie, vues à travers le prisme de la ville éponge, elles ne sont plus considérées comme un déchet à évacuer, mais comme une ressource à valoriser : irrigation des espaces verts, lutte contre les îlots de chaleur, promotion de la biodiversité, amélioration paysagère, loisirs… à l’heure des changements climatiques, l’eau en ville est au centre de nombreux enjeux. Et si l’eau attire toute l’attention, c’est aussi forcément le cas des sols. Car ce sont eux qui vont permettre à une ville de se transformer en éponge. Sans des sols sains sur lesquels des plantes et des arbres s’épanouissent, il est impossible de réactiver le cycle de l’eau et de la reconnecter à son milieu naturel.

Genève l’a d’ailleurs bien compris. Les services de l’État y ont instauré, dans le cadre de la démarche « Eau en ville », une « plateforme eau-sol-arbre » (6). L’objectif est d’offrir un guichet unique, réunissant trois offices de trois départements distincts, vers lequel l’ensemble des acteurs concernés peuvent se tourner. Cette plateforme accompagne les professionnels et professionnelles vers un changement de pratiques. Qu’il s’agisse du réaménagement d’une parcelle ou de la création d’un nouveau quartier, Genève cherche dorénavant à faire en sorte que le triptyque formé par l’eau, les sols et les arbres soit traité dès le début du projet, quelle que soit sa taille.

Cette attention soutenue à l’importance des sols en ville passe forcément par l’adoption de nouvelles techniques d’aménagement : noues, jardins de pluies, désimperméabilisation, revitalisation, pavés drainants, dalles ajourées, fosses de plantage… C’est une nouvelle grammaire du sol qui fleurit désormais dans les concours d’architecture et les projets d’urbanisme. Afin d’en prendre la mesure, il est éclairant de feuilleter la documentation mise à disposition par l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux, le VSA (7). Au milieu des débits, des volumes et des épaisseurs, ce sont bien les sols, et leur formidable capacité d’infiltration et de rétention, qui sont au cœur du propos.

Hier dans le vent, aujourd’hui sous nos pieds

Dès lors, si la perte de plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles à proximité d’une agglomération constitue une perte irrémédiable en termes de production maraichère, de sols de qualité et de lien entre ville et campagne, elle ne représente pas forcément une menace pour la population. Il est en effet possible de limiter durablement le risque des inondations par ruissellement en se tournant vers les sols et en leur redonnant la place qu’ils méritent au cœur de nos villes. Dans les années soixante, pour Bob Dylan, la réponse soufflait dans le vent. Aujourd’hui, elle se cache indiscutablement sous le bitume.

(1) https://www.meteosuisse.admin.ch/portrait/meteosuisse-blog/fr/2024/07/toujours-plus-de-fortes-precipitations.html
(2) « À quel climat s’adapter en France selon la TRACC ?, partie 2 ». Météo-France, 2025
(3) https://www.hortanoticias.com/un-innovador-estudio-basado-en-fotografias-aereas-revela-la-perdida-de-dos-tercios-de-huerta-en-los-ultimos-50-anos/
(4) https://www.planat.ch/fr/naturgefahren-/-risiken/ruissellement
(5) CEPRI – Centre européen de prévention du risque inondation cité dans « Atlas IGN, le risque d’inondation » : www.ign.fr/publications-de-l-ign/institut/kiosque/publications/atlas_anthropocene/2025/Atlas-2025-risque-inondation.pdf
(6) https://www.ge.ch/dossier/ville-climatique/professionnels-engages-innover-batir-ville-climatique/plateforme-eau-sol-arbre
(7) https://vsa.ch/fr/M%C3%A9diath%C3%A8que/gestion-des-eaux-urbaines-par-temps-de-pluie-aide-memoire/